vendredi 29 mai 2015

Sommes- nous des crocs morts ?



Dans le mois de juin passé, alors que j’étais venu pour les funérailles de ton beau fils Victor, tu m’as dis : « Abbé, toute ma vie j’ai voyagé, j’ai beaucoup voyagé. J’étais à Lomé, kpalimé, Sokodé, Yamoutougou, j’étais au mali, à Conakry.
J’ai été toujours absent auprès de vous. J’aurais souhaité que si un jour le seigneur me rappelle à lui, que vous les enfants, vous me trouviez une place auprès de vous. Ainsi vous pourriez venir me voir.

Maintenant papa, tes frères et sœurs n’ont pas pu me faire respecter cet engagement que j’ai pris auprès de toi. Toi qui es un homme de pardon, pardonne-leur ; peut-être qu’ ils ne savent pas ce qu’ils font.

Ta mort nous rappelle qu’il faut s’aimer et se pardonner mutuellement. Ta mort nous a fait découvrir la souffrance que vivent les veuves et les orphelins.
Nous avons compris ce qu’a vécu certains de nos cousins et cousines ayant perdu leurs parents très tôt.

Que ta mort soit pour nous, pour leur famille et pour notre famille que tu aimes si tant, un moment de réflexion qui pourra nous conduire à l’unité, à la joie et à la paix.
A ces cousins et cousines qui ont souffert de la mort d’un parent, je demande pardon car je ne savais pas la grandeur de leurs souffrances ».

Ainsi s’exprimait un fils, prêtre de l’Eglise Catholique lors des funérailles de son père.
En effet, à la mort de leur papa, le corps a du passé 6 mois à la morgue avant que les funérailles ne soient autorisées.
Le vieux Bernard, fonctionnaire hors classe des fiances est tombé malade suite à un malentendu au sein de sa famille.

Après douze années de maladie, le seigneur a fini par avoir pitié de lui en le rappelant à la noce éternelle.
Dès l’annonce de sa mort, les calvaires ont commencé pour les enfants.
Des tractations et des tractations, des allées et retours au village, des insultes.
A un moment, au cours des négociations, les enfants ont du demandé aux parents si leur papa leur devait quelque chose de son vivant.

Malheureusement c’est une situation que doivent traverser  les enfants à la mort d’un parent et cette façon de faire dure et perdure depuis des lustres. Ni le temps, ni l’environnement n’a pas pu avoir raison de cette mauvaise pratique. L’Afrique vénère les morts jusqu’à la mort.

Nous sommes au Togo, dans un petit village situé à 500 kilomètres au nord ouest de Lomé.
Koffi enterre sa mère décédée depuis près de 2 mois. L’inhumation n’a été autorisée par les grands parents de koffi que lorsque Koffi s s’est plié à leur volonté de voir leur fille enterrée au village à côté de son père décédé il y a 25 ans.

Pour aller au village, nous avons dû traverser un grand fleuve en pirogue avec le cercueil.
Après toutes les péripéties, nous voilà au village de Koffi et commence dès cet instant une longue attente au soleil. L’un des petits frères de la défunte n’a jamais participé aux cotisations habituelles au niveau de la famille et le groupe exigent  qu’il paie tout ce qu’il doit avant qu’on nous reçoive.

Kodjo le petit frère de maman Koffi : «  je ne paie rien, je vous avais dit que vos histoires de cotisation ne m’intéressent pas »
Oncle Yao, si tu ne paies pas il n’y aura pas d’enterrement.
Kodjo : « Ah bon ! Parlant d’enterrement, ma grande sœur vous doit-elle aussi ? Puisque c’est de son enterrement qu’il est question »
Oncle Yao : «  ta grande sœur ne nous doit rien mais toi, oui et tant que tu es là pas d’enterrement »!
Entre temps, koffi qui s’était mis à faire la quête pour payer la dette de son oncle a pu rassembler 50 000 francs CFA.
C’est peu rétorque oncle Yao. Un à un les invités ont commencé par prendre le chemin de retour pour ne laisser que les proches de la défunte.

«Je n’avais que mes yeux pour pleurer devant ma famille en  disputes. Chacun réagissait  comme s’il avait un compte à régler avec mon père.», Témoigne Daniel  qui vient de supporter ce calvaire à l’occasion des obsèques de son père, en avril dernier ». « Finalement, poursuit-il, je m’étais demandé si ce n’était pas la famille qui avait tué mon père pour avoir l’occasion de gaffer et festoyer ».

De ces calvaires, chacune des familles africaines en ont connu.
Si ce n’est pas un mur qu’on fait tombé pour voler la dépouille et l’enterrer à l’insu des enfants pendant que d’autres simulent le dialogue à l’extérieur de la salle qui sert à l’exposition du corps, c’est la famille maternelle qui refuse de laisser enterrer le corps dans la famille paternelle et pour cause : «  le père du défunt n’avait pas payé la dote de sa femme».

Le deuil est aussi l’occasion pour les envieux d’assouvir leur jalousie à l’égard de ceux qui ont réussi dans leur vie.
On entend parfois chuchoter des phrases comme : « Ah ! Aujourd’hui nous allons montrer à ses intellos que nous existons ! »

« Il faut que ça cesse, ce n’est pas la solution », réagit Foudou, qui a souffert de ces interminables réunions à la mort de son père.
De peur de voir sa vie en prendre un coup, personne n’ose réagir face à ce comportement qui divise et fragilise les familles africaines.

Ce que les orphelins souhaitent ’est qu’on leur permette d’enterrer leurs parents sans protocoles.
Brice Edmond TCHIBOZO