vendredi 22 mai 2015

La presse béninoise entre responsabilité et culpabilité.

Crédit Photo: TCHIBOZO Brice
Depuis 1990, la presse béninoise a fait d’énormes progrès sur le plan de la liberté.
La première étape a été l’avènement d’une presse privée suite à la libération de l’espace médiatique en 1997 et ce, après des années de monopole d’Etat.
Un autre acquis est la possibilité que les journalistes ont de faire de leurs médias de vrais organes d’information, plutôt que des marionnettes au service d’un pouvoir avide de propagande.
Malheureusement certains journalistes sortent de notre devoir premier.
Combien sont-ils ceux qui contribuent réellement à l’enracinement de la démocratie chèrement acquise depuis l’historique conférence de février 90 ?
Le journalisme est certes un métier d’écriture, mais pas comme n’importe quel métier d’écriture.
Dans ‘’écrire’’ ici, je lis ‘’crier’’. Le journaliste c’est donc celui qui crie  pour alerter l’opinion publique, il crie pour éveiller les consciences, il crie pour sensibiliser.
La facilité est l’une des qualités du journaliste, c’est un instant très délicat, une attitude évidemment plus gênante qui peut l’amener à commettre des bévues.
Déjà au cours des élections présidentielles de mars 2001 et à la veille des municipales et communales de décembre 2002 et prenant le pool des médias à la veille des présidentielles de mars 2006, l’ODEM (l’Observatoire de la Déontologie et de l’Ethique dans les Médias) a relevé dans son rapport de suivi déontologique ce qui suit :
« L’article 6 a été violé 58 fois en deux mois dans les organes de presse observés ; l’article 2 violé 27 fois ; l’article 11 violé 14 fois, etc. Rapport de suivi déontologique de février 2006. »
Les articles : 6 relatifs à l’interdiction de la diffamation, de l’injure et de la calomnie, 2 relatifs à l’impératif de vérification des informations et 11 à propos des titres sensationnels caracolent toujours en tête des violations massives dans nos médias.
Des dispositions du code de déontologie indissociables du socle du professionnalisme.
Toujours selon le même rapport, déjà de mars 1999 à avril 2003, l’état des violations a montré que l’article 6 a été violé 70 fois, l’article 2 violé 65 fois puis l’article 11 violé 25 fois.
Des dispositions qui malheureusement continuent d’être violées par nos médias aujourd’hui.
Que vaut un journaliste constamment désigné par ses pairs comme quelqu’un qui ne connaît pas le métier ?
Cela mérite réflexion et doit être le déclic pour une prise de conscience professionnelle.
La course à l’audience et le populisme ne sauraient primer sur le respect des règles régissant notre métier.
Le mythe du « chevalier blanc » dénonçant tel ou tel scandale, confrontant les puissances pour faire éclater la vérité s’oppose à la réalité du métier.
Divers sondages montrent également que les journalistes ont perdu de leur crédibilité et ceci est d’autant plus vrai au niveau des journalistes de l’audiovisuel (Radio et Télévision) et spécialement tant de ceux de la télévision que de ceux de la presse écrite et cela est due à la force de l’image ; cette image qui fait trace, qui accroche et qui émeut.
Quand on parle de manquement à la déontologie, on pense immédiatement à la complicité entre les stars de la profession et les hommes politiques, les hommes d’affaire.
La principale cause du manquement à la déontologie n’est souvent  pas la corruption, qui n’est d’ailleurs pas plus importante dans la presse que dans les autres métiers ; mais le manque de temps à consacrer pour chercher et rassembler les preuves.
La communication est parfois dommageable à l’information. Lorsque le gouvernement lui- même possède et contrôle des médias qui n’ont pas d’autre choix que de faire la part belle au chef de l’Etat, la presse au lieu d’être la sentinelle de la démocratie devient un instrument de propagande pour nos gouvernants.
La liberté  de la presse ne s’octroie pas d’un coup, elle se conquiert peu à peu.
Une liberté qui ne s’accompagne pas de responsabilité est un danger pour la démocratie
Les instances d’autorégulation jouent tant bien que mal leur rôle de veille car elles s’autosaisissent de certains dossiers de dérive de la presse parfois. C’est ce qu’a fait l’ODEM (l’Observatoire de la Déontologie et de l’Ethique dans les Médias) qui avait condamné, le quotidien « l’AURORE » pour sa parution du 09 novembre 2005 : les faits : sous la plume du confrère Arnauld Djossouvi, le quotidien l’Aurore titrait à la page 1 et en page 4, «budget de la HAAC pour 2006. Des prévisions à vous couper le souffle ». Dans l’article, on peut relever les termes tels : « La HAAC budgétivore, les conseillers n’ont pas hésité à montrer leur appétit glouton. »
Appréciation
L’ODEM constate que le quotidien l’AURORE et Arnaud Djossouvi se sont redus coupables de calomnie et d’injures en écrivant : « la HAAC budgétivore », « les conseillers n’ont pas hésité à montrer leur appétit glouton ». Ce faisant, ils ont violé l’article 6 du code de déontologie. Cet article interdit l’injure.
Par conséquent, l’ODEM les condamne pour violation dudit article.
Outre l’AURORE, on peut citer aussi, LE BENINOIS pour sa publication du 10 novembre 2005, L’EVENEMENT DU JOUR du 07 décembre 2005, FRATERNITE du 09 novembre 2006, FRATERNITE du 18 novembre 2005, L’INDEPENDANT du 06 octobre 2005 etc. etc.
Toutes les dérives de certains confrères et de certains médias, n’empêchent pas d’autres confrères de garder haut l’étendard de notre métier si non :
Que serait le scandale du sang contaminé si la journaliste Anne- Marie Casteret n’avait pas existé ?
Maurice Papou serait –il démasqué sans les journalistes de Canard Enchaîné ?
Le journaliste n’écrit pas pour être riche, pour s’enrichir il existe bien d’autres métiers.
Les pays où la presse n’est pas la bienvenue, sont des pays où le droit de l’homme est bafoué.
Lorsque des journalistes, libres sur papier sont menacés, agressés ou condamnés par une justice fort dépendante des pouvoirs politiques, nous devons lutter pour que cela cesse et  ne se répète plus jamais.
Le journaliste est un humain et rien de tout ce qui est humain ne lui est étranger.
Chers confrères, le code de l’information et de la communication voté par nos honorables députés a été promulgué le 20 mars 2015 par le président de la république.
Une fois encore, nos institutions ont joué leur rôle d’éveilleur de  conscience des journalistes.
Nos institutions ne se contentent pas de sanctionner, elles participent aussi à la professionnalisation des hommes des médias et c’est dans ce cadre que s’inscrit la formation des 120 journalistes en multimédias que la CNMAN (Commission Nationale de Migration de l’Analogique au Numérique) a lancé depuis le 13 avril 2015.
Pour une période de 9 mois, le Centre d’Etude et des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI) est délocalisé à Cotonou.
L’objectif est de former des journalistes de type nouveau. Au cours de ces 9 mois, les 120 journalistes vont se familiariser avec les textes de lois et surtout les textes de lois régissant la corporation des hommes de plume que nous sommes.
Ils feront également la connaissance des nouveaux médias (blogs, twitter etc.)
Chers confrères, notre peuple assoiffé et chosifié se meurt. Nous devons donc en être les sentinelles.
Ecrivons ! Que dis- je ? Crions pour réveiller notre peuple, pour le conscientiser d’avantage.

Brice Edmond TCHIBOZO