mardi 26 mai 2015

Le train sifflera-t-il de nouveau ?




Un train voyageur à l'arrêt
Un train à vapeur












L’OCDN (Organisation Commune Dahomey- Niger des Chemins de fer et des transports) devenue à l’avènement de la révolution  OCBN (Organisation Commune Bénin- Niger des Chemins de fer et des transports), a été créée suite aux difficultés de déplacement de la troupe française lors de la conquête de Dahomey.


Cette même OCBN va désormais céder place à BENI- Rails, la nouvelle société concessionnaire du chemin de fer, créée par le Bénin et le Niger. 

Mais avant la concrétisation de cet avenir prometteur pour la société, elle aura traversé et continue de traverser une longue période de difficultés et d’incertitude malgré les tentatives pour lui redonner un souffle.

En 2007, l’Etat tente à deux reprises de relever la société agonisante. Mais les diverses actions ne donnent pas encore de résultats rassurants notamment pour le personnel.

Les employés sont à près de 18 mois d’arriérés de salaire. Le cas de Idelphonse Agbessi, agent de sécurité est émouvant :

Son propriétaire, malgré son immense bonté, perd patience après 5 mois d’arriérés de loyer. En pleine saison pluvieuse, il enleva quelques feuilles de tôle et la porte de la chambre louée à Idelphonse..

Et comme le malheur n’arrive jamais seul, la femme de, Idelphonse Agbessi et ses enfants l’ont également quitté. Ce cas malheureux n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

 A chaque cheminot son histoire. C’est dire que de l’OCDN à BENI- Rails beaucoup d’eau a coulé sous les rails. Qu’est devenu concrètement l’outil de coopération commerciale entre le Bénin et le Niger ? Retour sur les années sombres de l’OCBN et sur l’embellie promise pour elle.

Pour la petite histoire…

L’histoire du chemin de fer au Dahomey devenu Bénin en 1975 est associée à celle de la colonisation.

C’est en effet le colon français qui a construit les rails pendant plus de trente ans au début du 20ème siècle entre 1901 et 1936.

Au cours de la conquête du Dahomey, la puissance militaire du corps expéditionnaire avait été éprouvée par des pertes dues aux maladies, aux accidents résultat des déplacements lents et dangereux, aux fatigues déprimantes sous un climat torride.

Le général Dodds qui dirigeait la troupe, dans une correspondance datée du 14 février 1893 adressée au secrétaire d'état des colonies, réclamait un chemin de fer à voie étroite de Cotonou à Ouidah.

Huit ans plus tard, en 1901, le premier chemin de fer a été réalisé entre d’abord les deux villes balnéaires Cotonou et Ouidah.

A cette époque, le travail est fait avec des moyens rudimentaires. Antoine TCHIBOZO, ingénieur, inspecteur principal hors classe de l’OCBN à la retraite témoigne : « Les gens amenaient le ciment en tonnelet de la France et déchargeait tout ça au bord de la mer il fallait maintenant transporter tout le matériel nécessaire à la construction jusqu’au chantier, sur la tête, dans des hamacs et par divers moyens élémentaires. »

Les français ont donc fait recours pour ce travail à la main-d’œuvre locale. Ils étaient obligé d’associer les chefs de canton, les chefs traditionnels pour avoir la main- d’œuvre renchérit Jacob TOSSA, enseignant chercheur, auteur de la thèse les effets géographiques du chemin de fer au Bénin.

C’est dans ces conditions pénibles de travail presque forcé que les rails arrivent à Parakou en 1936 en passant par Bohicon, Savè et Tchaourou. En plus de cette ligne Sud-Nord (438 km), il y a les tronçons Cotonou, Ouidah, Sègbohouè et Cotonou, Porto- Novo, Sakété, Pobè.

Des retombées des rails sont encore visibles plus d’un siècle après. Retenons d’abord les différents ponts sur les cours d’eau à l’Est comme à l’Ouest du Bénin. Mais ce qui est plus frappant est l’impact du chemin de fer sur le développement des localités traversés et particulièrement celle qui étaient des gares de trains.

Un train à l’arrêt dans une localité est comme un porte- bonheur. Les premiers heureux sont bien évidemment les commerçants.

Madeleine Bara, vendeuse à la gare OCBN de Dassa :  « Je fréquente cette gare depuis mon enfance à côté de ma mère qui y faisait de petite commerce avec mes grande sœurs.

Devenue maman, moi-même j’ai continué par vendre du ‘’TCHAKPALO’’(boisson sucrée locale) ici. Quand le train arrive ici à la gare, les passagers achètent beaucoup surtout les vendredis, samedi et dimanche. 

Mais oui, on faisait de bonne affaires. Grâce à l’OCBN, je faisais vivre toute ma famille et j’ai pu supporté les études de mes enfants jusqu’à l’Université. Avec les économies réalisées ici, j’ai même pu construire deux maisons.

Non l’OCBN, c’était vraiment doux.

Ensuite, les localités qui abritent des gares se sont développées grâce aux trains.

Le rythme de développement passe par le rythme des chemins de fer


Le train à la gare de Bohicon
Pose de rails









                           


Antoine TCHIBOZO précise : « Pour l’entretien et l’exploitation technique des chemins de fer, tous les 25, 30 km et un peu plus on implante des gares.

 Ces gares commencent avec le personnel ferroviaire ensuite c’est la famille du personnel, les gens se développent autour de ce pôle puis ça grandit, ça grandit et devient une agglomération puis ensuite un village, puis ensuite peut être une ville.

Par exemple Bohicon ne serait pas ce que Bohicon est sans le chemin de fer, Parakou également. Donc la pose des rails appelle le développement. »

Pour mieux comprendre le lien entre rails et développement, il faut comparer les villes qui ont vu passer et celle qui en sont dépourvues. Le constat est éloquent. La ville d’Abomey dont les rois ont rejeté les rails parce que les trains à vapeur faisaient trop de bruit, doit aujourd’hui envier la ville voisine de Bohicon qui a pris les relais.

L’ancien Directeur Général de l’OCBN, Rigobert AZON atteste : « Les rails étaient jusqu’à Abomey ; les rois ont dit il y a trop de bruits, nous ne voulons pas de gare à Abomey.
Quand ils ont supprimés la ligne ‘’ABZ’’(Abomey- Bohicon- Zangnannado), Bohicon a pris le pas et aujourd’hui, Bohicon a un développement qui n’est pas à comparer à celui d’Abomey.
Donc sur le plan économique, les chemins de fer ont beaucoup contribué à la relance économique. »

Par ailleurs, le palmier à huile qui faisait la fierté du Bénin ne pouvait connaître un tel essor sans les chemins de fer.

Le transport ferroviaire des marchandises à l’intérieur du pays jusqu’à Parakou d’où les camions prenaient le relais à destination du Niger, a impacté l’économie des deux pays.
Jusqu’en 1985, c’est l’OCBN qui transportait la quasi- totalité de ce qui allait au nord, ainsi que ce qui était destiné pour le Niger et les autres pays de l’hinterland.

Les chiffres des années 90, montrent que l’OCBN transportait entre 350 et 400 milles tonnes de marchandises par an et avec un chiffre d’affaires de près de 8 milliards de francs CFA. Mais la compagnie va amorcer une pente glissante quelques années après.

La descente aux enfers



Les trains voyageurs au dépôt
Les trains voyageurs au dépôt












A l’origine du déclin de l’OCBN, il y a l’arrêt des subventions publiques, confie Rigobert AZON, ancien directeur général de la société. ‘’Les états subventionnaient l’OCBN jusqu’en 85 mais avec l’ajustement structurelle des années 80, la banque mondiale et les instances de Bretonwood ont dit que les chemins de fer n’ont pas besoin de subventions des états et on a interdit aux états d’afrique de subventionner les chemins de fer.

Et à Jacob TOSSA de déplorer : « depuis 1979, 1980 plus rien n’allait. »Au fil des années, ce sont d’abord les lignes côtières essentiellement sociales qui ont été supprimées. La ligne Cotonou, Parakpou seul est maintenue avant de se plonger dans un long sommeil aussi.

Comment expliquer cette situation ? Le Directeur général de l’OCBN jusqu’à l’abrogation du décret de création de la société Issakou Souleymane répond : « C’est vrai l’OCBN a des difficultés énormes, une structure qui a soufferte d’un manque d’organisation en son sein, une situation due au fait que certains responsables ont mis du temps à comprendre et l’on laisser s’enfoncer dans le gouffre qui est le sien aujourd’hui ».

BENI- Rails : L’espoir


La carte ferroviaire de l'Afrique occidentale
Conscient de l’importance du chemin de fer dans leur économie, le Bénin et le Niger décident de sauver les meubles. Et la trouvaille va au- delà de ce qu’a été l’OCBN. Ils inscrivent désormais la ligne Cotonou- Parakou- Niger dans la boucle ferroviaire de l’Afrique de l’Ouest qui concerne aussi le Togo, le Burkina- Faso et la Côte d’Ivoire.

Mais avant l’aboutissement de ce gigantesque projet, le Bénin et le Niger veulent redonner vie à l’existant et prolonger la ligne de Parakou à Niamey ; Pour cela, ils ont fait appel au groupe français Bolloré. C’est le nouveau concessionnaire de BENI- Rails, la société qui remplace l’OCBN.

Le groupe français doit réhabiliter la ligne Cotonou- Parakou et construire enfin la ligne Parakou- Niamey tant attendu de l’autre côté au Niger. Justement là- bas, le tronçon Niamey- Dosso long de 140 km a démarré.

Au Bénin, les choses tardent à reprendre ; mais des signes annonciateur sont visibles ; tels la rénovation de la gare centrale de Cotonou, la contruction de la bluezone de Zongo et dernièrement le lancement des travaux des travaux de reconstruction de la ligne Cotonou- Parakou.

C’était le 19 mars 2015 à l’occasion d’une cérémonie solennelle présidée par les présidents béninois et nigérien.

Transporteurs, conducteurs, et cheminots attendent la concrétisation du projet qui a leur yeux sera bénéfique d’abord à la route. En effet, le transport par camions participe de la dégradation des routes bitumées.

Le train servira à soulager les routes complètement abîmées par les charges des camions.
Pascal KPANOU, agent de l’OCBN en service à Bohicon, explique : « Si le train était toujours opérationnel, la voie bitumée Cotonou Bohicon ne serait  pas dans cet état de délabrement avancé.
L’état investit énormément pour la construction des voies bitumées or si on investit dans le chemin de fer, le chargement à l’essieu non respecté par les gros camions ne va pas détruire la route. »

Le retour du train est plus que jamais indispensable. Et dans cette affaire, tous les acteurs du transport trouveront leur compte.

Le rail n’est pas contre la route, la route ne peut pas être contre le chemin de fer.

Mots clés : OCBN, Chemin de fer, Train, transport, Bénin- Niger, BENI- Rails.

Brice Edmond TCHIBOZO